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 LE HORLA

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مُساهمةموضوع: LE HORLA   LE HORLA I_icon_minitimeالخميس 29 أبريل - 20:29

LE HORLA




8 mai. - Quelle journée admirable !
J’ai passé toute la matinée étendu sur l’herbe, devant ma maison, sous
l’énorme platane qui la couvre, l’abrite et l’ombrage tout entière.
J’aime ce pays, et j’aime y vivre parce que j’y ai mes racines, ces
profondes et délicates racines, qui attachent un homme à la terre où
sont nés et morts ses aïeux, qui l’attachent à ce qu’on pense et à ce
qu’on mange, aux usages comme aux nourritures, aux locutions locales,
aux intonations des paysans, aux odeurs du sol, des villages et de
l’air lui-même.


J’aime ma maison où j’ai grandi. De mes
fenêtres, je vois la Seine qui coule, le long de mon jardin, derrière
la route, presque chez moi, la grande et large Seine qui va de Rouen au
Havre, couverte de bateaux qui passent.


À gauche, là-bas, Rouen, la vaste ville
aux toits bleus, sous le peuple pointu des clochers gothiques. Ils sont
innombrables, frêles ou larges, dominés par la flèche de fonte de la
cathédrale, et pleins de cloches qui sonnent dans l’air bleu des belles
matinées, jetant jusqu’à moi leur doux et lointain bourdonnement de
fer, leur chant d’airain que la brise m’apporte, tantôt plus fort et
tantôt plus affaibli, suivant qu’elle s’éveille ou s’assoupit.


Comme il faisait bon ce matin !


Vers onze heures, un long convoi de
navires, traînés par un remorqueur, gros comme une mouche, et qui
râlait de peine en vomissant une fumée épaisse, défila devant ma grille.


Après deux goélettes anglaises, dont le
pavillon rouge ondoyait sur le ciel, venait un superbe trois-mâts
brésilien, tout blanc, admirablement propre et luisant. Je le saluai,
je ne sais pourquoi, tant ce navire me fit plaisir à voir.


12 mai. - J’ai un peu de fièvre depuis quelques jours ; je me sens souffrant, ou plutôt je me sens triste.


D’où viennent ces influences
mystérieuses qui changent en découragement notre bonheur et notre
confiance en détresse ? On dirait que l’air, l’air invisible est plein
d’inconnaissables Puissances, dont nous subissons les voisinages
mystérieux. Je m’éveille plein de gaieté, avec des envies de chanter
dans la gorge. - Pourquoi ? - Je descends le long de l’eau ; et
soudain, après une courte promenade, je rentre désolé, comme si quelque
malheur m’attendait chez moi. - Pourquoi ? - Est-ce un frisson de froid
qui, frôlant ma peau, a ébranlé mes nerfs et assombri mon âme ? Est-ce
la forme des nuages, ou la couleur du jour, la couleur des choses, si
variable, qui, passant par mes yeux, a troublé ma pensée ? Sait-on ?
Tout ce qui nous entoure, tout ce que nous voyons sans le regarder,
tout ce que nous frôlons sans le connaître, tout ce que nous touchons
sans le palper, tout ce que nous rencontrons sans le distinguer, a sur
nous, sur nos organes et, par eux, sur nos idées, sur notre coeur
lui-même, des effets rapides, surprenants et inexplicables.


Comme il est profond, ce mystère de
l’Invisible ! Nous ne le pouvons sonder avec nos sens misérables, avec
nos yeux qui ne savent apercevoir ni le trop petit, ni le trop grand,
ni le trop près, ni le trop loin, ni les habitants d’une étoile, ni les
habitants d’une goutte d’eau... avec nos oreilles qui nous trompent,
car elles nous transmettent les vibrations de l’air en notes sonores.
Elles sont des fées qui font ce miracle de changer en bruit ce
mouvement et par cette métamorphose donnent naissance à la musique, qui
rend chantante l’agitation muette de la nature... avec notre odorat,
plus faible que celui du chien... avec notre goût, qui peut à peine
discerner l’âge d’un vin !


Ah ! si nous avions d’autres organes
qui accompliraient en notre faveur d’autres miracles, que de choses
nous pourrions découvrir encore autour de nous !


16 mai. - Je suis malade, décidément !
Je me portais si bien le mois dernier ! J’ai la fièvre, une fièvre
atroce, ou plutôt un énervement fiévreux, qui rend mon âme aussi
souffrante que mon corps ! J’ai sans cesse cette sensation affreuse
d’un danger menaçant, cette appréhension d’un malheur qui vient ou de
la mort qui approche, ce pressentiment qui est sans doute l’atteinte
d’un mal encore inconnu, germant dans le sang et dans la chair.


18 mai. - Je viens d’aller consulter un
médecin, car je ne pouvais plus dormir. Il m’a trouvé le pouls rapide,
l’oeil dilaté, les nerfs vibrants, mais sans aucun symptôme alarmant.
Je dois me soumettre aux douches et boire du bromure de potassium.


25 mai. - Aucun changement ! Mon état,
vraiment, est bizarre. À mesure qu’approche le soir, une inquiétude
incompréhensible m’envahit, comme si la nuit cachait pour moi une
menace terrible. Je dîne vite, puis j’essaie de lire ; mais je ne
comprends pas les mots ; je distingue à peine les lettres. Je marche
alors dans mon salon de long en large, sous l’oppression d’une crainte
confuse et irrésistible, la crainte du sommeil et la crainte du lit.


Vers dix heures, je monte dans ma
chambre. À peine entré, je donne deux tours de clef, et je pousse les
verrous ; j’ai peur... de quoi ?... Je ne redoutais rien jusqu’ici...
j’ouvre mes armoires, je regarde sous mon lit ; j’écoute... j’écoute...
quoi ?... Est-ce étrange qu’un simple malaise, un trouble de la
circulation peut-être, l’irritation d’un filet nerveux, un peu de
congestion, une toute petite perturbation dans le fonctionnement si
imparfait et si délicat de notre machine vivante, puisse faire un
mélancolique du plus joyeux des hommes, et un poltron du plus brave ?
Puis, je me couche, et j’attends le sommeil comme on attendrait le
bourreau. Je l’attends avec l’épouvante de sa venue, et mon coeur bat,
et mes jambes frémissent ; et tout mon corps tressaille dans la chaleur
des draps, jusqu’au moment où je tombe tout à coup dans le repos, comme
on tomberait pour s’y noyer, dans un gouffre d’eau stagnante. Je ne le
sens pas venir, comme autrefois, ce sommeil perfide, caché près de moi,
qui me guette, qui va me saisir par la tête, me fermer les yeux,
m’anéantir.


Je dors - longtemps - deux ou trois
heures - puis un rêve - non - un cauchemar m’étreint. Je sens bien que
je suis couché et que je dors... je le sens et je le sais... et je sens
aussi que quelqu’un s’approche de moi, me regarde, me palpe, monte sur
mon lit, s’agenouille sur ma poitrine, me prend le cou entre ses mains
et serre... serre... de toute sa force pour m’étrangler.


Moi, je me débats, lié par cette
impuissance atroce, qui nous paralyse dans les songes ; je veux crier,
- je ne peux pas ; - je veux remuer, - je ne peux pas ; - j’essaie,
avec des efforts affreux, en haletant, de me tourner, de rejeter cet
être qui m’écrase et qui m’étouffe, - je ne peux pas !


Et soudain, je m’éveille, affolé, couvert de sueur. J’allume une bougie. Je suis seul.


Après cette crise, qui se renouvelle toutes les nuits, je dors enfin, avec calme, jusqu’à l’aurore.


2 juin. - Mon état s’est encore
aggravé. Qu’ai-je donc ? Le bromure n’y fait rien ; les douches n’y
font rien. Tantôt, pour fatiguer mon corps, si las pourtant, j’allai
faire un tour dans la forêt de Roumare. Je crus d’abord que l’air
frais, léger et doux, plein d’odeur d’herbes et de feuilles, me versait
aux veines un sang nouveau, au coeur une énergie nouvelle. Je pris une
grande avenue de chasse, puis je tournai vers La Bouille, par une allée
étroite, entre deux armées d’arbres démesurément hauts qui mettaient un
toit vert, épais, presque noir, entre le ciel et moi.


Un frisson me saisit soudain, non pas un frisson de froid, mais un étrange frisson d’angoisse.


Je hâtai le pas, inquiet d’être seul
dans ce bois, apeuré sans raison, stupidement, par la profonde
solitude. Tout à coup, il me sembla que j’étais suivi, qu’on marchait
sur mes talons, tout près, à me toucher.


Je me retournai brusquement. J’étais
seul. Je ne vis derrière moi que la droite et large allée vide, haute,
redoutablement vide ; et de l’autre côté elle s’étendait aussi à perte
de vue, toute pareille, effrayante.


Je fermai les yeux. Pourquoi ? Et je me
mis à tourner sur un talon, très vite, comme une toupie. Je faillis
tomber ; je rouvris les yeux ; les arbres dansaient, la terre
flottait ; je dus m’asseoir. Puis, ah ! je ne savais plus par où
j’étais venu ! Bizarre idée ! Bizarre ! Bizarre idée ! Je ne savais
plus du tout. Je partis par le côté qui se trouvait à ma droite, et je
revins dans l’avenue qui m’avait amené au milieu de la forêt.


3 juin. - La nuit a été horrible. Je vais m’absenter pendant quelques semaines. Un petit voyage, sans doute, me remettra.


2 juillet. - Je rentre. Je suis guéri.
J’ai fait d’ailleurs une excursion charmante. J’ai visité le mont
Saint-Michel que je ne connaissais pas.


Quelle vision, quand on arrive, comme
moi, à Avranches, vers la fin du jour ! La ville est sur une colline ;
et on me conduisit dans le jardin public, au bout de la cité. Je
poussai un cri d’étonnement. Une baie démesurée s’étendait devant moi,
à perte de vue, entre deux côtes écartées se perdant au loin dans les
brumes ; et au milieu de cette immense baie jaune, sous un ciel d’or et
de clarté, s’élevait sombre et pointu un mont étrange, au milieu des
sables. Le soleil venait de disparaître, et sur l’horizon encore
flamboyant se dessinait le profil de ce fantastique rocher qui porte
sur son sommet un fantastique monument.


Dès l’aurore, j’allai vers lui. La mer
était basse, comme la veille au soir, et je regardais se dresser devant
moi, à mesure que j’approchais d’elle, la surprenante abbaye. Après
plusieurs heures de marche, j’atteignis l’énorme bloc de pierre qui
porte la petite cité dominée par la grande église. Ayant gravi la rue
étroite et rapide, j’entrai dans la plus admirable demeure gothique
construite pour Dieu sur la terre, vaste comme une ville, pleine de
salles basses écrasées sous des voûtes et de hautes galeries que
soutiennent de frêles colonnes. J’entrai dans ce gigantesque bijou de
granit, aussi léger qu’une dentelle, couvert de tours, de sveltes
clochetons, où montent des escaliers tordus, et qui lancent dans le
ciel bleu des jours, dans le ciel noir des nuits, leurs têtes bizarres
hérissées de chimères, de diables, de bêtes fantastiques, de fleurs
monstrueuses, et reliés l’un à l’autre par de fines arches ouvragées.


Quand je fus sur le sommet, je dis au moine qui m’accompagnait : « Mon Père, comme vous devez être bien ici ! »


Il répondit : « Il y a beaucoup de
vent, monsieur » ; et nous nous mîmes à causer en regardant monter la
mer, qui courait sur le sable et le couvrait d’une cuirasse d’acier.


Et le moine me conta des histoires, toutes les vieilles histoires de ce lieu, des légendes, toujours des légendes.


Une d’elles me frappa beaucoup. Les
gens du pays, ceux du mont, prétendent qu’on entend parler la nuit dans
les sables, puis qu’on entend bêler deux chèvres, l’une avec une voix
forte, l’autre avec une voix faible. Les incrédules affirment que ce
sont les cris des oiseaux de mer, qui ressemblent tantôt à des
bêlements, et tantôt à des plaintes humaines ; mais les pêcheurs
attardés jurent avoir rencontré, rôdant sur les dunes, entre deux
marées, autour de la petite ville jetée ainsi loin du monde, un vieux
berger, dont on ne voit jamais la tête couverte de son manteau, et qui
conduit, en marchant devant eux, un bouc à figure d’homme et une chèvre
à figure de femme, tous deux avec de longs cheveux blancs et parlant
sans cesse, se querellant dans une langue inconnue, puis cessant
soudain de crier pour bêler de toute leur force.


Je dis au moine : « Y croyez-vous ? » Il murmura : « Je ne sais pas. »


Je repris : « S’il existait sur la
terre d’autres êtres que nous, comment ne les connaîtrions-nous point
depuis longtemps ; comment ne les auriez-vous pas vus, vous ? comment
ne les aurais-je pas vus, moi ? »


Il répondit : « Est-ce que nous voyons
la cent millième partie de ce qui existe ? Tenez, voici le vent, qui
est la plus grande force de la nature, qui renverse les hommes, abat
les édifices, déracine les arbres, soulève la mer en montagnes d’eau,
détruit les falaises, et jette aux brisants les grands navires, le vent
qui tue, qui siffle, qui gémit, qui mugit, - l’avez-vous vu, et
pouvez-vous le voir ? Il existe, pourtant. »


Je me tus devant ce simple
raisonnement. Cet homme était un sage ou peut-être un sot. Je ne
l’aurais pas pu affirmer au juste ; mais je me tus. Ce qu’il disait là,
je l’avais pensé souvent.


3 juillet. - J’ai mal dormi ; certes,
il y a ici une influence fiévreuse, car mon cocher souffre du même mal
que moi. En rentrant hier, j’avais remarqué sa pâleur singulière. Je
lui demandai :


« Qu’est-ce que vous avez, Jean ?

[ندعوك للتسجيل في المنتدى أو التعريف بنفسك لمعاينة هذه الصورة] J’ai
que je ne peux plus me reposer, monsieur, ce sont mes nuits qui mangent
mes jours. Depuis le départ de monsieur, cela me tient comme un sort. »


Les autres domestiques vont bien cependant, mais j’ai grand-peur d’être repris, moi.


4 juillet. - Décidément, je suis
repris. Mes cauchemars anciens reviennent. Cette nuit, j’ai senti
quelqu’un accroupi sur moi, et qui, sa bouche sur la mienne, buvait ma
vie entre mes lèvres. Oui, il la puisait dans ma gorge, comme aurait
fait une sangsue. Puis il s’est levé, repu, et moi je me suis réveillé,
tellement meurtri, brisé, anéanti, que je ne pouvais plus remuer. Si
cela continue encore quelques jours, je repartirai certainement.


5 juillet. - Ai-je perdu la raison ? Ce
qui s’est passé la nuit dernière est tellement étrange, que ma tête
s’égare quand j’y songe !


Comme je le fais maintenant chaque
soir, j’avais fermé ma porte à clef ; puis, ayant soif, je bus un
demi-verre d’eau, et je remarquai par hasard que ma carafe était pleine
jusqu’au bouchon de cristal.


Je me couchai ensuite et je tombai dans
un de mes sommeils épouvantables, dont je fus tiré au bout de deux
heures environ par une secousse plus affreuse encore.


Figurez-vous un homme qui dort, qu’on
assassine, et qui se réveille, avec un couteau dans le poumon, et qui
râle couvert de sang, et qui ne peut plus respirer, et qui va mourir,
et qui ne comprend pas - voilà.


Ayant enfin reconquis ma raison, j’eus
soif de nouveau ; j’allumai une bougie et j’allai vers la table où
était posée ma carafe. Je la soulevai en la penchant sur mon verre ;
rien ne coula. - Elle était vide ! Elle était vide complètement !
D’abord, je n’y compris rien ; puis, tout à coup, je ressentis une
émotion si terrible, que je dus m’asseoir, ou plutôt, que je tombai sur
une chaise ! puis, je me redressai d’un saut pour regarder autour de
moi ! puis je me rassis, éperdu d’étonnement et de peur, devant le
cristal transparent ! Je le contemplais avec des yeux fixes, cherchant
à deviner. Mes mains tremblaient ! On avait donc bu cette eau ? Qui ?
Moi ? moi, sans doute ? Ce ne pouvait être que moi ? Alors ; j’étais
somnambule, je vivais, sans le savoir, de cette double vie mystérieuse
qui fait douter s’il y a deux êtres en nous, ou si un être étranger,
inconnaissable et invisible, anime, par moments, quand notre âme est
engourdie, notre corps captif qui obéit à cet autre, comme à
nous-mêmes, plus qu’à nous-mêmes.


Ah ! qui comprendra mon angoisse
abominable ? Qui comprendra l’émotion d’un homme, sain d’esprit, bien
éveillé, plein de raison et qui regarde épouvanté, à travers le verre
d’une carafe, un peu d’eau disparue pendant qu’il a dormi ! Et je
restai là jusqu’au jour, sans oser regagner mon lit.


6 juillet. - Je deviens fou. On a encore bu toute ma carafe cette nuit ; - ou plutôt, je l’ai bue !


Mais, est-ce moi ? Est-ce moi ? Qui serait-ce ? Qui ? Oh ! mon Dieu ! Je deviens fou ! Qui me sauvera ?


10 juillet. - Je viens de faire des épreuves surprenantes.


Décidément, je suis fou ! Et pourtant !


Le 6 juillet, avant de me coucher, j’ai placé sur ma table du vin, du lait, de l’eau, du pain et des fraises.


On a bu - j’ai bu - toute l’eau, et un peu de lait. On n’a touché ni au vin, ni au pain, ni aux fraises.


Le 7 juillet, j’ai renouvelé la même épreuve, qui a donné le même résultat.


Le 8 juillet, j’ai supprimé l’eau et le lait. On n’a touché à rien.


Le 9 juillet enfin, j’ai remis sur ma
table l’eau et le lait seulement, en ayant soin d’envelopper les
carafes en des linges de mousseline blanche et de ficeler les bouchons.
Puis, j’ai frotté mes lèvres, ma barbe, mes mains avec de la mine de
plomb, et je me suis couché.


L’invincible sommeil m’a saisi, suivi
bientôt de l’atroce réveil. Je n’avais point remué ; mes draps
eux-mêmes ne portaient pas de taches. Je m’élançai vers ma table. Les
linges enfermant les bouteilles étaient demeurés immaculés. Je déliai
les cordons, en palpitant de crainte. On avait bu toute l’eau ! on
avait bu tout le lait ! Ah ! mon Dieu !...


Je vais partir tout à l’heure pour Paris.


12 juillet. - Paris. J’avais donc perdu
la tête les jours derniers ! J’ai dû être le jouet de mon imagination
énervée, à moins que je ne sois vraiment somnambule, ou que j’aie subi
une de ces influences constatées, mais inexplicables jusqu’ici, qu’on
appelle suggestions. En tout cas, mon affolement touchait à la démence,
et vingt-quatre heures de Paris ont suffi pour me remettre d’aplomb.


Hier, après des courses et des visites,
qui m’ont fait passer dans l’âme de l’air nouveau et vivifiant, j’ai
fini ma soirée au Théâtre-Français. On y jouait une pièce d’Alexandre
Dumas fils ; et cet esprit alerte et puissant a achevé de me guérir.
Certes, la solitude est dangereuse pour les intelligences qui
travaillent. Il nous faut autour de nous, des hommes qui pensent et qui
parlent. Quand nous sommes seuls longtemps, nous peuplons le vide de
fantômes.


Je suis rentré à l’hôtel très gai, par
les boulevards. Au coudoiement de la foule, je songeais, non sans
ironie, à mes terreurs, à mes suppositions de l’autre semaine, car j’ai
cru, oui, j’ai cru qu’un être invisible habitait sous mon toit. Comme
notre tête est faible et s’effare, et s’égare vite, dès qu’un petit
fait incompréhensible nous frappe !


Au lieu de conclure par ces simples
mots : « Je ne comprends pas parce que la cause m’échappe », nous
imaginons aussitôt des mystères effrayants et des puissances
surnaturelles.


14 juillet. - Fête de la République. Je
me suis promené par les rues. Les pétards et les drapeaux m’amusaient
comme un enfant. C’est pourtant fort bête d’être joyeux, à date fixe,
par décret du gouvernement. Le peuple est un troupeau imbécile, tantôt
stupidement patient et tantôt férocement révolté. On lui dit :
« Amuse-toi. » Il s’amuse. On lui dit : « Va te battre avec le
voisin. » Il va se battre. On lui dit : « Vote pour l’Empereur. » Il
vote pour l’Empereur. Puis, on lui dit : « Vote pour la République. »
Et il vote pour la République.


Ceux qui le dirigent sont aussi sots ;
mais au lieu d’obéir à des hommes, ils obéissent à des principes,
lesquels ne peuvent être que niais, stériles et faux, par cela même
qu’ils sont des principes, c’est-à-dire des idées réputées certaines et
immuables, en ce monde où l’on n’est sûr de rien, puisque la lumière
est une illusion, puisque le bruit est une illusion.


16 juillet. - J’ai vu hier des choses qui m’ont beaucoup troublé.


Je dînais chez ma cousine, Mme Sablé,
dont le mari commande le 76e chasseurs à Limoges. Je me trouvais chez
elle avec deux jeunes femmes, dont l’une a épousé un médecin, le
docteur Parent, qui s’occupe beaucoup des maladies nerveuses et des
manifestations extraordinaires auxquelles donnent lieu en ce moment les
expériences sur l’hypnotisme et la suggestion.


Il nous raconta longtemps les résultats prodigieux obtenus par des savants anglais et par les médecins de l’école de Nancy.


Les faits qu’il avança me parurent tellement bizarres, que je me déclarai tout à fait incrédule.


« Nous sommes, affirmait-il, sur le
point de découvrir un des plus importants secrets de la nature, je veux
dire, un de ses plus importants secrets sur cette terre ; car elle en a
certes d’autrement importants, là-bas, dans les étoiles. Depuis que
l’homme pense, depuis qu’il sait dire et écrire sa pensée, il se sent
frôlé par un mystère impénétrable pour ses sens grossiers et
imparfaits, et il tâche de suppléer, par l’effort de son intelligence,
à l’impuissance de ses organes. Quand cette intelligence demeurait
encore à l’état rudimentaire, cette hantise des phénomènes invisibles a
pris des formes banalement effrayantes. De là sont nées les croyances
populaires au surnaturel, les légendes des esprits rôdeurs, des fées,
des gnomes, des revenants, je dirai même la légende de Dieu, car nos
conceptions de l’ouvrier-créateur, de quelque religion qu’elles nous
viennent, sont bien les inventions les plus médiocres, les plus
stupides, les plus inacceptables sorties du cerveau apeuré des
créatures. Rien de plus vrai que cette parole de Voltaire : "Dieu a
fait l’homme à son image, mais l’homme le lui a bien rendu."


Mais, depuis un peu plus d’un siècle,
on semble pressentir quelque chose de nouveau. Mesmer et quelques
autres nous ont mis sur une voie inattendue, et nous sommes arrivés
vraiment, depuis quatre ou cinq ans surtout, à des résultats
surprenants. »


Ma cousine, très incrédule aussi, souriait. Le docteur Parent lui dit :


« Voulez-vous que j’essaie de vous endormir, madame ?

[ندعوك للتسجيل في المنتدى أو التعريف بنفسك لمعاينة هذه الصورة] Oui, je veux bien. »


Elle s’assit dans un fauteuil et il
commença à la regarder fixement en la fascinant. Moi, je me sentis
soudain un peu troublé, le coeur battant, la gorge serrée. Je voyais
les yeux de Mme Sablé s’alourdir, sa bouche se crisper, sa poitrine
haleter.


Au bout de dix minutes, elle dormait.


« Mettez-vous derrière elle », dit le médecin.


Et je m’assis derrière elle. Il lui
plaça entre les mains une carte de visite en lui disant : « Ceci est un
miroir ; que voyez-vous dedans ? »


Elle répondit :


« Je vois mon cousin.

[ندعوك للتسجيل في المنتدى أو التعريف بنفسك لمعاينة هذه الصورة] Que fait -il ?

[ندعوك للتسجيل في المنتدى أو التعريف بنفسك لمعاينة هذه الصورة] Il se tord la moustache.

[ندعوك للتسجيل في المنتدى أو التعريف بنفسك لمعاينة هذه الصورة] Et maintenant ?

[ندعوك للتسجيل في المنتدى أو التعريف بنفسك لمعاينة هذه الصورة] Il tire de sa poche une photographie.

[ندعوك للتسجيل في المنتدى أو التعريف بنفسك لمعاينة هذه الصورة] Quelle est cette photographie ?

[ندعوك للتسجيل في المنتدى أو التعريف بنفسك لمعاينة هذه الصورة] La sienne. »


C’était vrai ! Et cette photographie venait de m’être livrée, le soir même, à l’hôtel.


« Comment est-il sur ce portrait ?

[ندعوك للتسجيل في المنتدى أو التعريف بنفسك لمعاينة هذه الصورة] Il se tient debout avec son chapeau à la main. »


Donc elle voyait dans cette carte, dans ce carton blanc, comme elle eût vu dans une glace.


Les jeunes femmes, épouvantées, disaient : « Assez ! Assez ! Assez ! »


Mais le docteur ordonna : « Vous vous
lèverez demain à huit heures ; puis vous irez trouver à son hôtel votre
cousin, et vous le supplierez de vous prêter cinq mille francs que
votre mari vous demande et qu’il vous réclamera à son prochain voyage. »


Puis il la réveilla.


En rentrant à l’hôtel, je songeai à
cette curieuse séance et des doutes m’assaillirent, non point sur
l’absolue, sur l’insoupçonnable bonne foi de ma cousine, que je
connaissais comme une soeur, depuis l’enfance, mais sur une supercherie
possible du docteur. Ne dissimulait-il pas dans sa main une glace qu’il
montrait à la jeune femme endormie, en même temps que sa carte de
visite ? Les prestidigitateurs de profession font des choses autrement
singulières.


Je rentrai donc et je me couchai.


Or, ce matin, vers huit heures et demie, je fus réveillé par mon valet de chambre, qui me dit :


« C’est Mme Sablé qui demande à parler à monsieur tout de suite. »


Je m’habillai à la hâte et je la reçus.


Elle s’assit fort troublée, les yeux baissés, et, sans lever son voile, elle me dit :


« Mon cher cousin, j’ai un gros service à vous demander.

[ندعوك للتسجيل في المنتدى أو التعريف بنفسك لمعاينة هذه الصورة] Lequel, ma cousine ?

[ندعوك للتسجيل في المنتدى أو التعريف بنفسك لمعاينة هذه الصورة] Cela me gêne beaucoup de vous le dire, et pourtant, il le
faut. J’ai besoin, absolument besoin, de cinq mille francs. ?- Allons donc, vous ?

[ندعوك للتسجيل في المنتدى أو التعريف بنفسك لمعاينة هذه الصورة] Oui, moi, ou plutôt mon mari, qui me charge de les trouver. »


J’étais tellement stupéfait, que je
balbutiais mes réponses. Je me demandais si vraiment elle ne s’était
pas moquée de moi avec le docteur Parent, si ce n’était pas là une
simple farce préparée d’avance et fort bien jouée.


Mais, en la regardant avec attention,
tous mes doutes se dissipèrent. Elle tremblait d’angoisse, tant cette
démarche lui était douloureuse, et je compris qu’elle avait la gorge
pleine de sanglots.
Je la savais fort riche et je repris :


« Comment ! votre mari n’a pas cinq
mille francs à sa disposition ! Voyons, réfléchissez. Etes-vous sûre
qu’il vous a chargée de me les demander ? »


Elle hésita quelques secondes comme si elle eût fait un grand effort pour chercher dans son souvenir, puis elle répondit :


« Oui..., oui... j’en suis sûre.

[ندعوك للتسجيل في المنتدى أو التعريف بنفسك لمعاينة هذه الصورة] Il vous a écrit ? »


Elle hésita encore, réfléchissant. Je
devinai le travail torturant de sa pensée. Elle ne savait pas. Elle
savait seulement qu’elle devait m’emprunter cinq mille francs pour son
mari. Donc elle osa mentir.


« Oui, il m’a écrit.

[ندعوك للتسجيل في المنتدى أو التعريف بنفسك لمعاينة هذه الصورة] Quand donc ? Vous ne m’avez parlé de rien, hier.

[ندعوك للتسجيل في المنتدى أو التعريف بنفسك لمعاينة هذه الصورة] J’ai reçu sa lettre ce matin.

[ندعوك للتسجيل في المنتدى أو التعريف بنفسك لمعاينة هذه الصورة] Pouvez-vous me la montrer ?

[ندعوك للتسجيل في المنتدى أو التعريف بنفسك لمعاينة هذه الصورة] Non... non... non... elle contenait des choses intimes... trop
personnelles... je l’ai... je l’ai brûlée. ?- Alors, c’est que votre mari fait des dettes. »


Elle hésita encore, puis murmura :


« Je ne sais pas. »


Je déclarai brusquement :


« C’est que je ne puis disposer de cinq mille francs en ce moment, ma chère cousine. »


Elle poussa une sorte de cri de souffrance.


« Oh ! oh ! je vous en prie, je vous en prie, trouvez-les... »


Elle s’exaltait, joignait les mains
comme si elle m’eût prié ! J’entendais sa voix changer de ton ; elle
pleurait et bégayait, harcelée, dominée par l’ordre irrésistible
qu’elle avait reçu.


« Oh ! oh ! je vous en supplie... si vous saviez comme je souffre... il me les faut aujourd’hui. »


J’eus pitié d’elle.


« Vous les aurez tantôt, je vous le jure. »


Elle s’écria :


« Oh ! merci ! merci ! que vous êtes bon. »


Je repris : « Vous rappelez-vous ce qui s’est passé hier chez vous ?

[ندعوك للتسجيل في المنتدى أو التعريف بنفسك لمعاينة هذه الصورة] Oui.

[ندعوك للتسجيل في المنتدى أو التعريف بنفسك لمعاينة هذه الصورة] Vous rappelez -vous que le docteur Parent vous a endormie ?

[ندعوك للتسجيل في المنتدى أو التعريف بنفسك لمعاينة هذه الصورة] Oui.

[ندعوك للتسجيل في المنتدى أو التعريف بنفسك لمعاينة هذه الصورة] Eh bien, il vous a ordonné de venir m’emprunter ce matin cinq mille francs, et vous obéissez en ce moment à cette suggestion. »


Elle réfléchit quelques secondes et répondit :


« Puisque c’est mon mari qui les demande. »


Pendant une heure, j’essayai de la convaincre, mais je n’y pus parvenir.


Quand elle fut partie, je courus chez le docteur. Il allait sortir ; et il m’écouta en souriant. Puis il dit :


« Croyez-vous maintenant ?

[ندعوك للتسجيل في المنتدى أو التعريف بنفسك لمعاينة هذه الصورة] Oui, il le faut bien.

[ندعوك للتسجيل في المنتدى أو التعريف بنفسك لمعاينة هذه الصورة] Allons chez votre parente. »


Elle sommeillait déjà sur une chaise
longue, accablée de fatigue. Le médecin lui prit le pouls, la regarda
quelque temps, une main levée vers ses yeux qu’elle ferma peu à peu
sous l’effort insoutenable de cette puissance magnétique.


Quand elle fut endormie :


« Votre mari n’a plus besoin de cinq
mille francs. Vous allez donc oublier que vous avez prié votre cousin
de vous les prêter, et, s’il vous parle de cela, vous ne comprendrez
pas. »


Puis il la réveilla. Je tirai de ma poche un portefeuille :


« Voici, ma chère cousine, ce que vous m’avez demandé ce matin. »


Elle fut tellement surprise que je
n’osai pas insister. J’essayai cependant de ranimer sa mémoire, mais
elle nia avec force, crut que je me moquais d’elle, et faillit, à la
fin, se fâcher.

*-*-*
*



Voilà ! je viens de rentrer ; et je n’ai pu déjeuner, tant cette expérience m’a bouleversé.


19 juillet - Beaucoup de personnes à
qui j’ai raconté cette aventure se sont moquées de moi. Je ne sais plus
que penser. Le sage dit : Peut-être ?


21 juillet. - J’ai été dîner à
Bougival, puis j’ai passé la soirée au bal des canotiers. Décidément,
tout dépend des lieux et des milieux. Croire au surnaturel dans l’île
de la Grenouillère, serait le comble de la folie... mais au sommet du
mont Saint-Michel ?... mais dans les Indes ? Nous subissons
effroyablement l’influence de ce qui nous entoure. Je rentrerai chez
moi la semaine prochaine.


30 juillet. - Je suis revenu dans ma maison depuis hier. Tout va bien.


2 août. - Rien de nouveau ; il fait un temps superbe. Je passe mes journées à regarder couler la Seine.


4 août. - Querelles parmi mes
domestiques. Ils prétendent qu’on casse les verres, la nuit, dans les
armoires. Le valet de chambre accuse la cuisinière, qui accuse la
lingère, qui accuse les deux autres. Quel est le coupable ? Bien fin
qui le dirait !


6 août. - Cette fois, je ne suis pas
fou. J’ai vu... j’ai vu... j’ai vu !... Je ne puis plus douter... j’ai
vu !... J’ai encore froid jusque dans les ongles... j’ai encore peur
jusque dans les moelles... j’ai vu !...


Je me promenais à deux heures, en plein
soleil, dans mon parterre de rosiers... dans l’allée des rosiers
d’automne qui commencent à fleurir.


Comme je m’arrêtais à regarder un géant des batailles,
qui portait trois fleurs magnifiques, je vis, je vis distinctement,
tout près de moi, la tige d’une de ces roses se plier, comme si une
main invisible l’eût tordue, puis se casser, comme si cette main l’eût
cueillie ! Puis la fleur s’éleva, suivant une courbe qu’aurait décrite
un bras en la portant vers une bouche, et elle resta suspendue dans
l’air transparent, toute seule, immobile, effrayante tache rouge à
trois pas de mes yeux.


Éperdu, je me jetai sur elle pour la
saisir ! Je ne trouvai rien ; elle avait disparu. Alors je fus pris
d’une colère furieuse contre moi-même ; car il n’est pas permis à un
homme raisonnable et sérieux d’avoir de pareilles hallucinations.


Mais était-ce bien une hallucination ?
Je me retournai pour chercher la tige, et je la retrouvai immédiatement
sur l’arbuste, fraîchement brisée entre les deux autres roses demeurées
à la branche.


Alors, je rentrai chez moi l’âme
bouleversée, car je suis certain, maintenant, certain comme de
l’alternance des jours et des nuits, qu’il existe près de moi un être
invisible, qui se nourrit de lait et d’eau, qui peut toucher aux
choses, les prendre et les changer de place, doué par conséquent d’une
nature matérielle, bien qu’imperceptible pour nos sens, et qui habite
comme moi, sous mon toit...


7 août - J’ai dormi tranquille. Il a bu l’eau de ma carafe, mais n’a point troublé mon sommeil.


Je me demande si je suis fou. En me
promenant, tantôt au grand soleil, le long de la rivière, des doutes me
sont venus sur ma raison, non point des doutes vagues comme j’en avais
jusqu’ici, mais des doutes précis, absolus. J’ai vu des fous ; j’en ai
connu qui restaient intelligents, lucides, clairvoyants même sur toutes
les choses de la vie, sauf sur un point. Ils parlaient de tout avec
clarté, avec souplesse, avec profondeur, et soudain leur pensée,
touchant l’écueil de leur folie s’y déchirait en pièces, s’éparpillait
et sombrait dans cet océan effrayant et furieux, plein de vagues
bondissantes, de brouillards, de bourrasques, qu’on nomme « la
démence ».


Certes, je me croirais fou, absolument
fou, si je n’étais conscient, si je ne connaissais parfaitement mon
état, si je ne le sondais en l’analysant avec une complète lucidité. Je
ne serais donc, en somme, qu’un halluciné raisonnant. Un trouble
inconnu se serait produit dans mon cerveau, un de ces troubles
qu’essaient de noter et de préciser aujourd’hui les physiologistes ; et
ce trouble aurait déterminé dans mon esprit, dans l’ordre et la logique
de mes idées, une crevasse profonde. Des phénomènes semblables ont lieu
dans le rêve qui nous promène à travers les fantasmagories les plus
invraisemblables, sans que nous en soyons surpris, parce que l’appareil
vérificateur, parce que le sens du contrôle est endormi ; tandis que la
faculté imaginative veille et travaille. Ne se peut-il pas qu’une des
imperceptibles touches du clavier cérébral se trouve paralysée chez
moi ? Des hommes, à la suite d’accidents, perdent la mémoire des noms
propres ou des verbes ou des chiffres, ou seulement des dates. Les
localisations de toutes les parcelles de la pensée sont aujourd’hui
prouvées. Or, quoi d’étonnant à ce que ma faculté de contrôler
l’irréalité de certaines hallucinations, se trouve engourdie chez moi
en ce moment !


Je songeais à tout cela en suivant le
bord de l’eau. Le soleil couvrait de clarté la rivière, faisait la
terre délicieuse, emplissait mon regard d’amour pour la vie, pour les
hirondelles, dont l’agilité est une joie de mes yeux, pour les herbes
de la rive dont le frémissement est un bonheur de mes oreilles.


Peu à peu, cependant, un malaise
inexplicable me pénétrait. Une force, me semblait-il, une force occulte
m’engourdissait, m’arrêtait, m’empêchait d’aller plus loin, me
rappelait en arrière. J’éprouvais ce besoin douloureux de rentrer qui
vous oppresse, quand on a laissé au logis un malade aimé, et que le
pressentiment vous saisit d’une aggravation de son mal.


Donc, je revins malgré moi, sûr que
j’allais trouver, dans ma maison, une mauvaise nouvelle, une lettre ou
une dépêche. Il n’y avait rien ; et je demeurai plus surpris et plus
inquiet que si j’avais eu de nouveau quelque vision fantastique.


8 août. - J’ai passé hier une affreuse
soirée. Il ne se manifeste plus, mais je le sens près de moi, m’épiant,
me regardant, me pénétrant, me dominant et plus redoutable, en se
cachant ainsi, que s’il signalait par des phénomènes surnaturels sa
présence invisible et constante.


J’ai dormi, pourtant.


9 août - Rien, mais j’ai peur.


10 août. - Rien ; qu’arrivera-t-il demain ?


11 août. - Toujours rien ; je ne puis
plus rester chez moi avec cette crainte et cette pensée entrées en mon
âme ; je vais partir.


12 août, 10 heures du soir. - Tout le
jour j’ai voulu m’en aller ; je n’ai pas pu. J’ai voulu accomplir cet
acte de liberté si facile, si simple, - sortir - monter dans ma voiture
pour gagner Rouen - je n’ai pas pu. Pourquoi ?


13 août. - Quand on est atteint par
certaines maladies, tous les ressorts de l’être physique semblent
brisés, toutes les énergies anéanties, tous les muscles relâchés, les
os devenus mous comme la chair et la chair liquide comme de l’eau.
J’éprouve cela dans mon être moral d’une façon étrange et désolante. Je
n’ai plus aucune force, aucun courage, aucune domination sur moi aucun
pouvoir même de mettre en mouvement ma volonté. Je ne peux plus
vouloir ; mais quelqu’un veut pour moi ; et j’obéis.


14 août. - Je suis perdu ! Quelqu’un
possède mon âme et la gouverne ! quelqu’un ordonne tous mes actes, tous
mes mouvements, toutes mes pensées. Je ne suis plus rien en moi, rien
qu’un spectateur esclave et terrifié de toutes les choses que
j’accomplis. Je désire sortir. Je ne peux pas. Il ne veut pas ; et je
reste, éperdu, tremblant, dans le fauteuil où il me tient assis. Je
désire seulement me lever, me soulever, afin de me croire maître de
moi. Je ne peux pas ! Je suis rivé à mon siège et mon siège adhère au
sol, de telle sorte qu’aucune force ne nous soulèverait.


Puis, tout d’un coup, il faut, il faut,
il faut que j’aille au fond de mon jardin cueillir des fraises et les
manger. Et j’y vais. Je cueille des fraises et je les mange ! Oh ! mon
Dieu ! Mon Dieu ! Mon Dieu ! Est-il un Dieu ? S’il en est un,
délivrez-moi, sauvez-moi ! secourez-moi ! Pardon ! Pitié ! Grâce !
Sauvez-moi ! Oh ! quelle souffrance ! quelle torture ! quelle horreur !


15 août. - Certes, voilà comment était
possédée et dominée ma pauvre cousine, quand elle est venue m’emprunter
cinq mille francs. Elle subissait un vouloir étranger entré en elle,
comme une autre âme, comme une autre âme parasite et dominatrice.
Est-ce que le monde va finir ?


Mais celui qui me gouverne, quel est-il, cet invisible ? cet inconnaissable, ce rôdeur d’une race surnaturelle ?


Donc les Invisibles existent ! Alors,
comment depuis l’origine du monde ne se sont-ils pas encore manifestés
d’une façon précise comme ils le font pour moi ? Je n’ai jamais rien lu
qui ressemble à ce qui s’est passé dans ma demeure. Oh ! si je pouvais
la quitter, si je pouvais m’en aller, fuir et ne pas revenir. Je serais
sauvé, mais je ne peux pas.


16 août. - J’ai pu m’échapper
aujourd’hui pendant deux heures, comme un prisonnier qui trouve
ouverte, par hasard, la porte de son cachot. J’ai senti que j’étais
libre tout à coup et qu’il était loin. J’ai ordonné d’atteler bien vite
et j’ai gagné Rouen. Oh ! quelle joie de pouvoir dire à un homme qui
obéit : « Allez à Rouen ! »


Je me suis fait arrêter devant la
bibliothèque et j’ai prié qu’on me prêtât le grand traité du docteur
Hermann Herestauss sur les habitants inconnus du monde antique et
moderne.


Puis, au moment de remonter dans mon
coupé, j’ai voulu dire : « À la gare ! » et j’ai crié, - je n’ai pas
dit, j’ai crié - d’une voix si forte que les passants se sont
retournés : « À la maison », et je suis tombé, affolé d’angoisse, sur
le coussin de ma voiture. Il m’avait retrouvé et repris.


17 août. - Quelle nuit ! quelle nuit !
Et pourtant il me semble que je devrais me réjouir. Jusqu’à une heure
du matin, j’ai lu ! Hermann Herestauss, docteur en philosophie et en
théogonie, a écrit l’histoire et les manifestations de tous les êtres
invisibles rôdant autour de l’homme ou rêvés par lui. Il décrit leurs
origines, leur domaine, leur puissance. Mais aucun d’eux ne ressemble à
celui qui me hante. On dirait que l’homme, depuis qu’il pense, a
pressenti et redouté un être nouveau, plus fort que lui, son successeur
en ce monde, et que, le sentant proche et ne pouvant prévoir la nature
de ce maître, il a créé, dans sa terreur, tout le peuple fantastique
des êtres occultes, fantôme vagues nés de la peur.


Donc, ayant lu jusqu’à une heure du
matin, j’ai été m’asseoir ensuite auprès de ma fenêtre ouverte pour
rafraîchir mon front et ma pensée au vent calme de l’obscurité.


Il faisait bon, il faisait tiède ! Comme j’aurais aimé cette nuit-là autrefois !


Pas de lune. Les étoiles avaient au
fond du ciel noir des scintillements frémissants. Qui habite ces
mondes ? Quelles formes, quels vivants, quels animaux, quelles plantes
sont là-bas ? Ceux qui pensent dans ces univers lointains, que
savent-ils plus que nous ? Que peuvent-ils plus que nous ? Que
voient-ils que nous ne connaissons point ? Un d’eux, un jour ou
l’autre, traversant l’espace, n’apparaîtra-t-il pas sur notre terre
pour la conquérir, comme les Normands jadis traversaient la mer pour
asservir des peuples plus faibles ?


Nous sommes si infirmes, si désarmés,
si ignorants, si petits, nous autres, sur ce grain de boue qui tourne
délayé dans une goutte d’eau.


Je m’assoupis en rêvant ainsi au vent frais du soir.


Or, ayant dormi environ quarante
minutes, je rouvris les yeux sans faire un mouvement, réveillé par je
ne sais quelle émotion confuse et bizarre.


Je ne vis rien d’abord, puis, tout à
coup, il me sembla qu’une page du livre resté ouvert sur ma table
venait de tourner toute seule. Aucun souffle d’air n’était entré par ma
fenêtre. Je fus surpris et j’attendis. Au bout de quatre minutes
environ, je vis, je vis, oui, je vis de mes yeux une autre page se
soulever et se rabattre sur la précédente, comme si un doigt l’eût
feuilletée. Mon fauteuil était vide, semblait vide ; mais je compris
qu’il était là, lui, assis à ma place, et qu’il lisait. D’un bond
furieux, d’un bond de bête révoltée, qui va éventrer son dompteur, je
traversai ma chambre pour le saisir, pour l’étreindre, pour le
tuer !... Mais mon siège, avant que je l’eusse atteint, se renversa
comme si on eût fui devant moi... ma table oscilla, ma lampe tomba et
s’éteignit, et ma fenêtre se ferma comme si un malfaiteur surpris se
fût élancé dans la nuit, en prenant à pleines mains les battants.


Donc, il s’était sauvé ; il avait eu peur, peur de moi, lui !


Alors... alors... demain... ou
après..., ou un jour quelconque, je pourrai donc le tenir sous mes
poings, et l’écraser contre le sol ! Est-ce que les chiens,
quelquefois, ne mordent point et n’étranglent pas leurs maîtres ?


18 août. - J’ai songé toute la journée.
Oh ! oui je vais lui obéir, suivre ses impulsions, accomplir toutes ses
volontés, me faire humble, soumis lâche. Il est le plus fort. Mais une
heure viendra...


19 août. - Je sais... je sais... je sais tout ! Je viens de lire ceci dans la Revue du Monde scientifique :
« Une nouvelle assez curieuse nous arrive de Rio de Janeiro. Une folie,
une épidémie de folie, comparable aux démences contagieuses qui
atteignirent les peuples d’Europe au moyen âge, sévit en ce moment dans
la province de San-Paulo. Les habitants éperdus quittent leurs maisons,
désertent leurs villages, abandonnent leurs cultures, se disant
poursuivis, possédés, gouvernés comme un bétail humain par des êtres
invisibles bien que tangibles, des sortes de vampires qui se
nourrissent de leur vie, pendant leur sommeil, et qui boivent en outre
de l’eau et du lait sans paraître toucher à aucun autre aliment.


M. le professeur Don Pedro Henriquez,
accompagné de plusieurs savants médecins, est parti pour la province de
San-Paulo afin d’étudier sur place les origines et les manifestations
de cette surprenante folie, et de proposer à l’Empereur les mesures qui
lui paraîtront le plus propres à rappeler à la raison ces populations
en délire. »


Ah ! Ah ! je me rappelle, je me
rappelle le beau trois-mâts brésilien qui passa sous mes fenêtres en
remontant la Seine, le 8 mai dernier ! Je le trouvais si joli, si
blanc, si gai ! L’Etre était dessus, venant de là-bas, où sa race est
née ! Et il m’a vu ! Il a vu ma demeure blanche aussi ; et il a sauté
du navire sur la rive. Oh ! mon Dieu !


À présent, je sais, je devine. Le règne de l’homme est fini.


Il est venu, Celui que redoutaient les
premières terreurs des peuples naïfs, Celui qu’exorcisaient les prêtres
inquiets, que les sorciers évoquaient par les nuits sombres, sans le
voir apparaître encore, à qui les pressentiments des maîtres passagers
du monde prêtèrent toutes les formes monstrueuses ou gracieuses des
gnomes, des esprits, des génies, des fées, des farfadets. Après les
grossières conceptions de l’épouvante primitive, des hommes plus
perspicaces l’ont pressenti plus clairement. Mesmer l’avait deviné et
les médecins, depuis dix ans déjà, ont découvert, d’une façon précise,
la nature de sa puissance avant qu’il l’eût exercée lui-même. Ils ont
joué avec cette arme du Seigneur nouveau, la domination d’un mystérieux
vouloir sur l’âme humaine devenue esclave. Ils ont appelé cela
magnétisme, hypnotisme, suggestion... que sais-je ? Je le ai vus
s’amuser comme des enfants imprudents avec cette horrible puissance !
Malheur à nous ! Malheur à l’homme ! Il est venu, le... le... comment
se nomme-t-il... le... il me semble qu’il me crie son nom, et je ne
l’entends pas... le... oui... il le crie... J’écoute... je ne peux
pas... répète... le... Horla... J’ai entendu... le Horla... c’est
lui... le Horla... il est venu !...


Ah ! le vautour a mangé la colombe ; le
loup a mangé le mouton ; le lion a dévoré le buffle aux cornes aiguës ;
l’homme a tué le lion avec la flèche, avec le glaive, avec la poudre ;
mais le Horla va faire de l’homme ce que nous avons fait du cheval et
du boeuf : sa chose, son serviteur et sa nourriture, par la seule
puissance de sa volonté. Malheur à nous !


Pourtant, l’animal, quelquefois, se
révolte et tue celui qui l’a dompté... moi aussi je veux... je
pourrai... mais il faut le connaître, le toucher, le voir ! Les savants
disent que l’oeil de la bête, différent du nôtre, ne distingue point
comme le nôtre... Et mon oeil à moi ne peut distinguer le nouveau venu
qui m’opprime.


Pourquoi ? Oh ! je me rappelle à
présent les paroles du moine du mont Saint-Michel : « Est-ce que nous
voyons la cent millième partie de ce qui existe ? Tenez, voici le vent
qui est la plus grande force de la nature, qui renverse les hommes,
abat les édifices, déracine les arbres, soulève la mer en montagnes
d’eau, détruit les falaises et jette aux brisants les grands navires,
le vent qui tue, qui siffle, qui gémit, qui mugit, l’avez-vous vu et
pouvez-vous le voir ! Il existe pourtant ! »


Et je songeais encore : mon oeil est si
faible, si imparfait, qu’il ne distingue même point les corps durs,
s’ils sont transparents comme le verre !... Qu’une glace sans tain
barre mon chemin, il me jette dessus comme l’oiseau entré dans une
chambre se casse la tête aux vitres. Mille choses en outre le trompent
et l’égarent ? Quoi d’étonnant, alors, à ce qu’il ne sache point
apercevoir un corps nouveau que la lumière traverse.


Un être nouveau ! pourquoi pas ? Il
devait venir assurément ! pourquoi serions-nous les derniers ! Nous ne
le distinguons point, ainsi que tous les autres créés avant nous ?
C’est que sa nature est plus parfaite, son corps plus fin et plus fini
que le nôtre, que le nôtre si faible, si maladroitement conçu, encombré
d’organes toujours fatigués, toujours forcés comme des ressorts trop
complexes, que le nôtre, qui vit comme une plante et comme une bête, en
se nourrissant péniblement d’air, d’herbe et de viande, machine animale
en proie aux maladies, aux déformations, aux putréfactions, poussive,
mal réglée, naïve et bizarre, ingénieusement mal faite, oeuvre
grossière et délicate, ébauche d’être qui pourrait devenir intelligent
et superbe.


Nous sommes quelques-uns, si peu sur ce
monde, depuis l’huître jusqu’à l’homme. Pourquoi pas un de plus, une
fois accomplie la période qui sépare les apparitions successives de
toutes les espèces diverses ?


Pourquoi pas un de plus ? Pourquoi pas
aussi d’autres arbres aux fleurs immenses, éclatantes et parfumant des
régions entières ? Pourquoi pas d’autres éléments que le feu, l’air, la
terre et l’eau ? - Ils sont quatre, rien que quatre, ces pères
nourriciers des êtres ! Quelle pitié ! Pourquoi ne sont-ils pas
quarante, quatre cents, quatre mille ! Comme tout est pauvre, mesquin,
misérable ! avarement donné, sèchement inventé, lourdement fait ! Ah !
l’éléphant, l’hippopotame, que de grâce ! le chameau, que d’élégance !


Mais direz-vous, le papillon ! une
fleur qui vole ! J’en rêve un qui serait grand comme cent univers, avec
des ailes dont je ne puis même exprimer la forme, la beauté, la couleur
et le mouvement. Mais je le vois... il va d’étoile en étoile, les
rafraîchissant et les embaumant au souffle harmonieux et léger de sa
course !... Et les peuples de là-haut le regardent passer, extasiés et
ravis !

*-*-*
*



Qu’ai-je donc ? C’est lui, lui, le
Horla, qui me hante, qui me fait penser ces folies ! Il est en moi, il
devient mon âme ; je le tuerai !


19 août. - Je le tuerai. Je l’ai vu !
je me suis assis hier soir, à ma table ; et je fis semblant d’écrire
avec une grande attention. Je savais bien qu’il viendrait rôder autour
de moi, tout près, si près que je pourrais peut-être le toucher, le
saisir ? Et alors !... alors, j’aurais la force des désespérés ;
j’aurais mes mains, mes genoux, ma poitrine, mon front, mes dents pour
l’étrangler, l’écraser, le mordre, le déchirer.


Et je le guettais avec tous mes organes surexcités.


J’avais allumé mes deux lampes et les huit bougies de ma cheminée, comme si j’eusse pu, dans cette clarté, le découvrir.


En face de moi, mon lit, un vieux lit
de chêne à colonnes ; à droite, ma cheminée ; à gauche, ma porte fermée
avec soin, après l’avoir laissée longtemps ouverte, afin de l’attirer ;
derrière moi, une très haute armoire à glace, qui me servait chaque
jour pour me raser, pour m’habiller, et où j’avais coutume de me
regarder, de la tête aux pieds, chaque fois que je passais devant.


Donc, je faisais semblant d’écrire,
pour le tromper, car il m’épiait lui aussi ; et soudain, je sentis, je
fus certain qu’il lisait par-dessus mon épaule, qu’il était là, frôlant
mon oreille.


Je me dressai, les mains tendues, en me
tournant si vite que je faillis tomber. Eh bien ?... on y voyait comme
en plein jour, et je ne me vis pas dans ma glace !... Elle était vide,
claire, profonde, pleine de lumière ! Mon image n’était pas dedans...
et j’étais en face, moi ! Je voyais le grand verre limpide du haut en
bas. Et je regardais cela avec des yeux affolés ; et je n’osais plus
avancer, je n’osais plus faire un mouvement, sentant bien pourtant
qu’il était là, mais qu’il m’échapperait encore, lui dont le corps
imperceptible avait dévoré mon reflet.


Comme j’eus peur ! Puis voilà que tout
à coup je commençai à m’apercevoir dans une brume, au fond du miroir,
dans une brume comme à travers une nappe d’eau ; et il me semblait que
cette eau glissait de gauche à droite, lentement, rendant plus précise
mon image, de seconde en seconde. C’était comme la fin d’une éclipse.
Ce qui me cachait ne paraissait point posséder de contours nettement
arrêtés, mais une sorte de transparence opaque, s’éclaircissant peu à
peu.


Je pus enfin me distinguer complètement, ainsi que je le fais chaque jour en me regardant.


Je l’avais vu ! L’épouvante m’en est restée, qui me fait encore frissonner.


20 août. - Le tuer, comment ? puisque
je ne peux l’atteindre ? Le poison ? mais il me verrait le mêler à
l’eau ; et nos poisons, d’ailleurs, auraient-ils un effet sur son corps
imperceptible ? Non... non... sans aucun doute... Alors ?... alors ?...


21 août. - J’ai fait venir un serrurier
de Rouen et lui ai commandé pour ma chambre des persiennes de fer,
comme en ont, à Paris, certains hôtels particuliers, au
rez-de-chaussée, par crainte des voleurs. Il me fera, en outre, une
porte pareille. Je me suis donné pour un poltron, mais je m’en
moque !...

*-*-*
*



10 septembre. - Rouen, hôtel
Continental. C’est fait... c’est fait... mais est-il mort ? J’ai l’âme
bouleversée de ce que j’ai vu.


Hier donc, le serrurier ayant posé ma
persienne et ma porte de fer, j’ai laissé tout ouvert, jusqu’à minuit,
bien qu’il commencât à faire froid.


Tout à coup, j’ai senti qu’il était là,
et une joie, une joie folle m’a saisi. Je me suis levé lentement, et
j’ai marché à droite, à gauche, longtemps pour qu’il ne devinât rien ;
puis j’ai ôté mes bottines et mis mes savates avec négligence ; puis
j’ai fermé ma persienne de fer, et revenant à pas tranquilles vers la
porte, j’ai fermé la porte aussi à double tour. Retournant alors vers
la fenêtre, je la fixai par un cadenas, dont je mis la clef dans ma
poche.


Tout à coup, je compris qu’il s’agitait
autour de moi, qu’il avait peur à son tour, qu’il m’ordonnait de lui
ouvrir. Je faillis céder ; je ne cédai pas, mais m’adossant à la porte,
je l’entrebâillai, tout juste assez pour passer, moi, à reculons ; et
comme je suis très grand ma tête touchait au linteau. J’étais sûr qu’il
n’avait pu s’échapper et je l’enfermai, tout seul, tout seul. Quelle
joie ! Je le tenais ! Alors, je descendis, en courant ; je pris dans
mon salon, sous ma chambre, mes deux lampes et je renversai toute
l’huile sur le tapis, sur les meubles, partout ; puis j’y mis le feu,
et je me sauvai, après avoir bien refermé, à double tour, la grande
porte d’entrée. Et j’allai me cacher au fond de mon jardin, dans un
massif de lauriers. Comme ce fut long ! comme ce fut long ! Tout était
noir, muet, immobile ; pas un souffle d’air, pas une étoile, des
montagnes de nuages qu’on ne voyait point, mais qui pesaient sur mon
âme si lourds, si lourds.


Je regardais ma maison, et j’attendais.
Comme ce fut long ! Je croyais déjà que le feu s’était éteint tout
seul, ou qu’il l’avait éteint, Lui, quand une des fenêtres d’en bas
creva sous la poussée de l’incendie, et une flamme, une grande flamme
rouge et jaune, longue, molle, caressante, monta le long du mur blanc
et le baisa jusqu’au toit. Une lueur courut dans les arbres, dans les
branches, dans les feuilles, et un frisson, un frisson de peur aussi.
Les oiseaux se réveillaient ; un chien se mit à hurler ; il me sembla
que le jour se levait ! Deux autres fenêtres éclatèrent aussitôt, et je
vis que tout le bas de ma demeure n’était plus qu’un effrayant brasier.
Mais un cri, un cri horrible, suraigu, déchirant, un cri de femme passa
dans la nuit, et deux mansardes s’ouvrirent ! J’avais oublié mes
domestiques ! Je vis leurs faces affolées, et leurs bras qui
s’agitaient !...


Alors, éperdu d’horreur, je me mis à
courir vers le village en hurlant : « Au secours ! au secours ! au
feu ! au feu ! » Je rencontrai des gens qui s’en venaient déjà et je
retournai avec eux, pour voir.


La maison, maintenant, n’était plus
qu’un bûcher horrible et magnifique, un bûcher monstrueux, éclairant
toute la terre, un bûcher où brûlaient des hommes, et où il brûlait
aussi, Lui, Lui, mon prisonnier, l’Etre nouveau, le nouveau maître, le
Horla !
Soudain le toit tout entier s’engloutit entre les murs et un volcan de
flammes jaillit jusqu’au ciel. Par toutes les fenêtres ouvertes sur la
fournaise, je voyais la cuve de feu, et je pensais qu’il était là, dans
ce four, mort...


« Mort ? Peut-être ?... Son corps ? son
corps que le jour traversait n’était-il pas indestructible par les
moyens qui tuent les nôtres ?


S’il n’était pas mort ?... seul
peut-être le temps a prise sur l’Etre Invisible et Redoutable. Pourquoi
ce corps transparent, ce corps inconnaissable, ce corps d’Esprit, s’il
devait craindre, lui aussi, les maux, les blessures, les infirmités, la
destruction prématurée ?


La destruction prématurée ? toute
l’épouvante humaine vient d’elle ! Après l’homme, le Horla. - Après
celui qui peut mourir tous les jours, à toutes les heures, à toutes les
minutes, par tous les accidents, est venu celui qui ne doit mourir qu’à
son jour, à son heure, à sa minute, parce qu’il a touché la limite de
son existence !


Non... non... sans aucun doute, sans
aucun doute... il n’est pas mort... Alors... alors... il va donc
falloir que je me tue, moi !... »
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LE HORLA
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